Séisme : la Chine redore
son blason international
François Hauter
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Le président Hu Jintao a rencontré, vendredi, les victimes du séisme dans le Sichuan. Le pouvoir change de style, principalement pour essayer de faire taire les superstitions.
Pour la première fois dans sa longue histoire chroniquée, la Chine montre l'un de ses chefs suprêmes se déplaçant sur le lieu même où souffrent ses compatriotes. C'est ce vendredi que le président Hu Jintao est arrivé dans le Sichuan, la province la plus peuplée du pays, frappée il y a six jours par un épouvantable tremblement de terre, de magnitude 7,9 sur l'échelle de Richter.
Selon le premier ministre, Wen Jiabao, c'est le séisme «le plus destructeur» qu'ait connu la Chine depuis 1949. En 1976, un tremblement de terre avait fait 240 000 victimes officiellement (650 000 selon des sources officieuses) dans la région de Pékin. À l'époque, Mao Zedong avait nié l'existence même du sinistre.
Le cataclysme a fait plus de 22 000 morts (50 000 probablement) et 4,8 millions de sans-abri. Les sauveteurs estiment que 12 000 personnes demeurent sous les décombres. Ils ont relevé 102 000 blessés. Quatre millions de bâtiments au moins se sont effondrés, et 6 900 classes bourrées d'enfants ont été ensevelies, car le séisme s'est déclenché en pleine journée.
Alors que le premier ministre, Wen Jiabao, s'est précipité dans la région sinistrée dès lundi, le jour même de la catastrophe, encourageant les quelque 130 000 secouristes sur place, M. Hu est venu hier galvaniser les soldats. Il a souligné que «la tâche est encore ardue et le temps presse… Le travail des sauveteurs est entré dans sa phase cruciale. Nous devons fournir tous les efforts, lutter contre le temps». Le pays a été bouleversé par le sauvetage d'un enfant qui avait survécu 80 heures sous les décombres de son école. La course contre la montre pour sauver les derniers survivants est maintenant lancée.
Compassion sans limite
Dans ce drame, le régime chinois a semblé changer de nature et de style, montrant soudain, après l'intransigeance contre les Tibétains, une solidarité et une compassion sans limites pour les victimes de cette catastrophe. En l'espace d'un tremblement de terre, les images de la torche olympique chahutée dans les rues des grandes villes d'Occident s'estompaient derrière celles, autrement plus bouleversantes, de mères arrachant les corps de leurs enfants aux gravats d'écoles effondrées. En quelques secondes, ce régime qui piétine les droits de l'homme des Tibétains se transformait en bon samaritain qui tend la main aux Sichuanais.
La plupart des observateurs occidentaux ont vu là le résultat de la pression internationale : les dirigeants chinois, après le désastre en relation publique qui a suivi la répression des Tibétains le mois dernier, se seraient dépêchés de montrer une face plus sereine à l'occasion de cette catastrophe, trois mois avant l'ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Bref, avec un cynisme consommé, ils auraient profité de cette catastrophe pour rehausser l'image de l'empire du Milieu à l'étranger.
Ce drame humain, c'est vrai, a un impact mondial : il touche chacun sur la planète, et l'Occident a beau jeu de souligner aujourd'hui la «modernité» de l'État chinois, qui réagit avec une efficacité exemplaire face à une catastrophe d'une telle ampleur. D'autant que la junte birmane, au même moment, tente de détourner l'aide internationale qui entre au compte-gouttes dans le pays.
Pour les dirigeants chinois cependant, ce n'est pas l'étranger, ni ce que fait la Birmanie ou tout autre pays, qui compte aujourd'hui. C'est l'opinion pu-blique chinoise. Car en Chine, l'État est conçu comme une extension de la famille, l'empereur (ou le président chinois) étant à ses sujets ce qu'un père est à ses fils. Dans l'ordre confucéen, la femme doit le respect à l'homme, le camarade à l'ami, le frère cadet au frère aîné, le fils au père et le sujet au souverain. Il est donc dans l'ordre des choses que le souverain protège son peuple. Jusqu'à ce jour, M. Hu l'avait fait timidement, en demeurant reclus dans l'enceinte de son palais, en y respectant minutieusement des usages.
M. Hu sort maintenant de Pékin, il va se mêler à son peuple dans l'affliction, il s'humanise publiquement afin de démontrer aux Chinois que cette catastrophe n'a rien à voir avec une quelconque colère du Ciel contre le pouvoir, mais que les dégâts seront contrôlés par la pensée positiviste du régime actuel. Il y a dans cette démarche toute la mue du communisme chinois, qui se modernise dans le style, en tentant d'élargir son assise populaire. Mais sur le fond, c'est toujours la même autorité néoconfucéenne, où l'individu n'a de place qu'au sein d'une société qui sait le secourir, lorsqu'il le faut. Ou le punir, lorsqu'il proteste.
Source l'express.